Document de travail du synode sur l'Amazonie : sous le feu des critiques (1)

Source: FSSPX Actualités

Après la dénonciation du document de travail du prochain synode sur l’Amazonie par le cardinal Walter Brandmüller, trois nouvelles critiques ont été formulées en juillet. La première émane du cardinal Gerhard Ludwig Müller, ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

Le cardinal Müller a fait paraître sa critique du document romain, sous forme de tribune libre, dans le journal allemand Die Tagespost du 16 juillet. Cette façon de procéder révèle le climat qui règne actuellement à Rome où, dit-on, les cardinaux ne peuvent s’entendre qu’à condition de ne pas se parler…

Une sacralisation du cosmos, de la nature et de l’écologie de la biodiversité

Le prélat allemand dénonce l’Instrumentum laboris (IL) qui donne au cas particulier de l’Amazonie la valeur d’un exemple universel : « La région amazonienne doit servir pour l’Eglise et pour le monde “comme une pars pro toto, comme un paradigme, comme une espérance pour le monde entier” (IL 37). Déjà, cette définition de la tâche à accomplir montre l’idée d’un développement “intégral” de tous les hommes dans notre unique maison de la terre, dont l’Eglise se déclare responsable. Cette idée se retrouve encore et encore dans l’Instrumentum laboris. » 

Il souligne l’imprécision des expressions employées : « les mots-clefs ne sont pas clarifiés et ils sont utilisés à l’excès : qu’est-ce qu’un chemin synodal, qu’est-ce que le développement intégral, qu’est-ce qu’une Eglise samaritaine, missionnaire, synodale et ouverte, ou une Eglise tendant la main, l’Eglise des pauvres, l’Eglise de l’Amazonie, et tant et plus ? » 

Le cardinal Müller signale également le peu de références au Magistère antérieur : « Toute la réflexion de l’Instrumentum laboris tourne de manière circulaire et autoréférentielle autour des documents les plus récents du Magistère du pape François, meublés de quelques références à Jean-Paul II et Benoît XVI. Les Saintes Ecritures sont peu citées, et les Pères de l’Eglise presque pas du tout, et encore d’une manière purement illustrative, dans le but de soutenir des convictions qui existent déjà pour d’autres raisons. Peut-être veut-on ainsi manifester une fidélité particulière envers le pape [actuel], ou se croit-on capable d’éviter les défis du travail théologique en se référant constamment à ses mots-clefs connus et souvent répétés, que les auteurs appellent – d’une manière assez confuse – “son mantra” (IL 25). Cette flagornerie est portée à son comble lorsque les auteurs ajoutent – à la suite de leur déclaration selon laquelle “les sujets actifs de l’inculturation sont les peuples indigènes eux-mêmes” (IL 122) – cette formulation étrange : “comme l’a affirmé le pape François, la grâce suppose la culture.” Comme si c’était lui qui avait découvert cet axiome – qui est bien évidemment un axiome fondamental de l’Eglise catholique elle-même. Dans sa version originale, c’est la grâce qui présuppose la nature, tout comme la foi présuppose la raison (voir Thomas d’Aquin, Somme théologique I q.1 a.8). »  

Le haut prélat s’étonne aussi de voir l’Amazonie présentée comme un « lieu théologique » : « Outre la confusion des rôles entre celui du Magistère d’un côté et de l’Ecriture Sainte de l’autre, l’Instrumentum laboris va jusqu’à affirmer qu’il existe de nouvelles sources de Révélation. L’IL 19 déclare : “Nous pouvons dire que l’Amazonie – ou tout autre espace territorial indigène ou communautaire – n’est pas seulement un ubi (un espace géographique), mais que c’est aussi un quid, c’est-à-dire, un lieu de sens pour la foi ou l’expérience de Dieu dans l’histoire. Le territoire est un lieu théologique depuis lequel on vit la foi, c’est aussi une source singulière de révélation de Dieu. Ces espaces sont des épiphanies où se manifeste la réserve de vie et de sagesse pour la planète, une vie et une sagesse qui parlent de Dieu.” Si un territoire déterminé est ici présenté comme “source particulière de la Révélation de Dieu”, il faut alors dire qu’il s’agit d’un faux enseignement, dans la mesure où depuis 2000 ans, l’Eglise catholique a enseigné infailliblement que l’Ecriture Sainte et la Tradition apostolique sont les seules sources de Révélation et que l’histoire ne peut plus ajouter de Révélation. » – Cela est vrai, mais ne dit-on, depuis Vatican II, que l’Eglise doit scruter les « signes des temps » en se mettant à l’écoute des aspirations de l’homme moderne et des besoins du monde, dans le dialogue et la « culture de la rencontre » ? 

Où l’Amazone prend sa source dans le Rhin…

L’influence des progressistes allemands dans la rédaction du document de travail du prochain synode n’a pas échappé au cardinal Müller : « l’organisation Rete Ecclesiale Panamazzonica (REPAM) – qui a été chargée de la préparation de l’Instrumentum laboris et qui a été fondée précisément à cette fin en 2014 –, ainsi que leurs auteurs, partisans de ce qu’on appelle la Theologia india (théologie indienne), se citent eux-mêmes le plus souvent. 

Il s’agit d’une société fermée de personnes ayant absolument la même vision du monde, comme on peut facilement le voir sur les listes des noms des personnes ayant participé à des réunions pré-synodales à Washington et à Rome : elles contiennent un nombre disproportionné d’Européens de langue allemande

« [Cette société fermée] est à l’abri des objections sérieuses, parce que [à ses yeux] celles-ci ne peuvent se fonder que sur le doctrinalisme et le dogmatisme monolithiques, ou le ritualisme (IL 38 ; 110 ; 138), ainsi que sur le cléricalisme incapable de dialogue (IL 110), et sur la pensée rigide des Pharisiens et sur l’orgueil de la raison des scribes. Ce serait une perte de temps et un gaspillage d’efforts que de discuter avec de tels critiques. »  

Le prélat allemand poursuit : « Toutes les personnes [qui préparent le synode] n’ont pas l’expérience de l’Amérique du Sud ; elles ne sont présentes que parce qu’elles pensent être en conformité avec la ligne officielle, et parce qu’elles contrôlent les thèmes du chemin synodal de la Conférence épiscopale allemande et du Comité central des catholiques allemands (dont les objectifs sont : l’abolition du célibat ecclésiastique, la présence des femmes dans le sacerdoce et aux postes-clefs du pouvoir contre le cléricalisme et le fondamentalisme, l’adaptation de la morale révélée à l’idéologie du genre et à la valorisation des pratiques homosexuelles), – ce chemin synodal qui est mis en œuvre actuellement en Allemagne. » 

Sur le fond, l’ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi fustige un panthéisme animiste, mis au goût du New Age européen : « Une cosmovision avec ses mythes et la magie rituelle de Mère “Nature”, avec ses sacrifices aux “dieux” et aux esprits qui nous effraient profondément ou nous attirent par de fausses promesses, une telle vision ne peut constituer une approche adéquate pour la venue du Dieu Trinité dans sa Parole et son Esprit-Saint. L’approche peut encore moins se résumer à une vision du monde scientifico-positiviste propre à une bourgeoisie libérale qui n’accepte du christianisme que les restes confortables de valeurs morales et de rituels civils et religieux. (…) Le cosmos ne doit pas être adoré comme Dieu, seul le Créateur lui-même doit l’être. Nous ne tombons pas à genoux devant l’énorme puissance de la nature et devant “tous les royaumes du monde et leur splendeur” (Mt 4, 8), mais seulement devant Dieu, “car il est écrit : tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu ne serviras que Lui” (Mt 4, 10). C’est ainsi que Jésus a rejeté le séducteur diabolique dans le désert. » 

Et le cardinal Müller de conclure sur la nécessité de la réaffirmation du « caractère surnaturel de la grâce, pour que l’intégrité de l’homme ne consiste pas seulement en l’unité avec la bio-nature, mais dans la filiation divine et dans la pleine communion de grâce avec la Sainte Trinité, pour que la vie éternelle soit la récompense de la conversion à Dieu, la réconciliation avec Lui, et pas seulement avec l’environnement et notre monde commun. On ne peut pas réduire le développement intégral à la simple mise à disposition de ressources matérielles. Car l’homme ne reçoit sa nouvelle intégrité que par la perfection dans la grâce, ici et maintenant dans le baptême où nous devenons une nouvelle Création, enfants de Dieu, et puis un jour dans la vision béatifique dans la communauté du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et en communion avec les saints. (1 Jn 1, 3 ; 3, 1 et suiv.) 

« Au lieu de présenter une approche ambiguë avec une religiosité vague, dans une tentative futile de faire du christianisme une science du salut sacralisant le cosmos, la nature et l’écologie de la biodiversité, il est important de regarder le centre et l’origine de notre foi : “Il a plu à Dieu dans sa bonté et sa sagesse de se révéler en personne et de faire connaître le mystère de sa volonté (cf. Ep 1, 9) grâce auquel les hommes, par le Christ, le Verbe fait chair, accèdent dans l’Esprit-Saint auprès du Père, et sont rendus participants de la nature divine”. »