La fausse miséricorde est une grave menace pour l'Eglise elle-même

Source: FSSPX Actualités

Le P.Thomas G. Weinandy.

Le père Thomas G. Weinandy, 72 ans, est un religieux capucin qui vit à Washington (Etats-Unis). Il est membre de la Commission théologique internationale, associée à la Congrégation pour la doctrine de la foi, depuis sa nomination en 2014 par le pape François. Il a enseigné aux Etats-Unis, à Oxford au Royaume-Uni, et à l’Université pontificale grégorienne de Rome.

Pendant neuf ans, de 2005 à 2013, il a été directeur de la Commission doctrinale de la Conférence épiscopale des Etats-Unis. Et il a continué à en faire partie comme conseiller, jusqu’au jour où il a fait paraître une lettre qu’il avait écrite au pape François le 31 juillet 2017, dans laquelle il lui reprochait d’être une des causes de la confusion présente au sein de l’Eglise. (Voir DICI n°364 du 10/11/17, p.9, « Comment un théologien catholique voit-il le pape ? ») Dès lors, il fut contraint de démissionner de ce poste de conseiller.

Le 24 février 2018, le père Weinandy a donné une conférence, dans le cadre de l’Université Notre-Dame de Sydney (Australie). Il y décrit et dénonce les graves menaces que certaines théories et pratiques soi-disant « pastorales », encouragées par le pape François, font courir à l’Eglise « une, sainte, catholique et apostolique », et plus particulièrement à l’Eucharistie qui est la « source et le sommet » de la vie de l’Eglise. Il montre que les quatre « notes » ou propriétés de l’Eglise – son unité, sa sainteté, sa catholicité et son apostolicité, professées dans le Symbole de Nicée-Constantinople (325-381) –, sont attaquées par l’ambiguïté doctrinale de l’Exhortation post-synodale Amoris lætitia.

Le capucin américain appuie une partie de son raisonnement sur l’enseignement de Vatican II et des prédécesseurs immédiats de François, ce qui n’est pas sans appeler certaines réserves, néanmoins le fond de son argumentation manifeste clairement le danger que représente Amoris lætitia pour l’unité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité de l’Eglise. On pourra en juger avec ces extraits significatifs.

Les quatre notes de l’Eglise et la crise contemporaine de l’ecclésiologie

Une menace pour l’unité de l’Eglise

(…) On dirait parfois que le pape François se considère non pas comme le promoteur de l’unité, mais bien comme un agent de division. Sa philosophie pratique, pour autant qu’il s’agisse d’une philosophie intentionnelle, semble consister à croire qu’un plus grand bien unificateur finira par émerger du fatras actuel d’opinions divergentes et de la tourmente des divisions qui en résultent.

Je crains qu’une telle approche, même involontaire, ne touche à l’essence même du ministère pétrinien tel que Jésus l’a souhaité et tel qu’il a toujours été compris par l’Eglise. Le successeur de saint Pierre, par la nature même de sa fonction, est censé être la personnification et le signe par excellence de la communion ecclésiale. (…) En paraissant encourager la division doctrinale et la discorde morale au sein de l’Eglise, le pontificat actuel a compromis la propriété fondamentale de l’Eglise : son unité. Comment cette atteinte à l’unité de l’Eglise se manifeste-t-elle ? Par une déstabilisation des trois autres propriétés de l’Eglise.

Une menace pour l’apostolicité de l’Eglise

Premièrement, on est en train de saper la nature apostolique de l’Eglise. Comme plusieurs théologiens et évêques, mais aussi le plus souvent les laïcs (ceux qui possèdent le « sensus fidelium ») l’ont remarqué, l’enseignement du pape actuel ne brille pas par sa clarté. (…) Comme on l’a vu dans Amoris lætitia, cette manière de reconcevoir et d’exprimer une foi apostolique et une tradition magistérielle – claires jusque-là – d’une manière nouvelle et d’une façon ambiguë, comme pour semer la confusion et la perplexité dans la communauté ecclésiale, revient à contredire ses propres devoirs en tant que successeur de Pierre, et à entamer la confiance de ses frères évêques ainsi que celle des prêtres et de tous les fidèles.

Ignace (d’Antioche) serait consterné d’une telle situation. Si, pour lui, les enseignements hérétiques embrassés par des personnes qui n’étaient associées que de loin à l’Eglise, nuisaient déjà à l’unité de l’Eglise, combien plus dévastateur encore peut être un enseignement ambigu émanant d’un évêque ayant reçu la mission divine de préserver l’unité de l’Eglise. (…)

Cet enseignement ambigu du pape François semble parfois s’aventurer en-dehors de l’enseignement magistériel de la communauté apostolique historique et causer des raisons de se préoccuper, parce que – comme nous l’avons dit plus haut – il est source de divisions et de désaccords plus que d’unité et de paix au sein de l’Eglise, une et apostolique. (…)

 

 

 

Le pape François durant le synode sur la famille en octobre 2015.

Une menace pour la catholicité de l’Eglise

Deuxièmement, (…) l’universalité de l’Eglise est publiquement manifestée dans le lien que toutes les Eglises particulières ont entre elles, à travers le collège des évêques en communion avec le pape, en professant une même foi apostolique et en prêchant le même Evangile universel à toute l’humanité. (…) Cette expression de l’unité catholique est également menacée.

On a beaucoup vanté l’attachement du pape François à la synodalité – le fait d’octroyer aux Eglises locales plus de liberté de s’autodéterminer. (…) Cependant, la manière dont le pape François conçoit cette synodalité et la façon dont elle est promue par d’autres que lui, bien loin d’assurer l’unité universelle de l’Eglise catholique – en tant que communion ecclésiale composée de multiples Eglises particulières –, se voient aujourd’hui utilisées à mauvais escient pour donner libre cours aux divisions au sein de l’Eglise. (…)

Nous sommes actuellement en train d’assister à la désintégration de la catholicité de l’Eglise puisque des Eglises locales, tant au niveau diocésain que national, interprètent souvent des normes doctrinales et des préceptes moraux de façon conflictuelle et contradictoire. (…) La propriété d’unité de l’Eglise, une unité que le pape est divinement mandaté pour faire et protéger, perd son intégrité parce que les propriétés de catholicité et d’apostolicité ont sombré dans un désordre doctrinal et moral, une anarchie théologique que le pape lui-même, sans doute sans le savoir, a provoqués en soutenant une conception erronée de la synodalité. (…) – Ici, il conviendrait de s’interroger sur la collégialité, promue par Vatican II, et sur son action dissolvante pour l’autorité dans l’Eglise, tant au niveau romain qu’au niveau diocésain. NDLR.

Une menace pour la sainteté de l’Eglise

Troisièmement, nous en venons à la troisième propriété de l’Eglise : sa sainteté. Cette propriété est également menacée, tout particulièrement, mais sans grande surprise, à propos de l’Eucharistie. (...)

Pour participer pleinement à l’Eucharistie de l’Eglise, (…) chaque personne doit incarner les quatre propriétés de l’Eglise, parce que ce n’est qu’ainsi que l’on se trouve en pleine communion avec l’Eglise pour recevoir la sainte communion – le Corps ressuscité et le Sang de Jésus, la source et le sommet de notre union avec le Père dans l’Esprit-Saint. (...)

(Cela) touche spécifiquement à la sainteté. Même si chacun doit professer l’unique foi apostolique de l’Eglise, la foi seule ne suffit pas pour recevoir le Christ dans l’Eucharistie. (...) C’est ici que nous prenons conscience de la menace qui pèse actuellement sur la sainteté de l’Eglise et plus spécifiquement sur la sainteté de l’Eucharistie. La question de savoir si les couples catholiques divorcés et remariés, vivant comme mari et femme, peuvent recevoir la communion ou pas, tourne autour de la notion de « comportement extérieur gravement, manifestement et durablement contraire à la norme morale » (Ecclesia de Eucharistia, n. 37) et donc, de la question de savoir s’ils se trouvent en « situation de contradiction morale manifeste » (ibid.) pour recevoir la communion.

Le pape François insiste à juste titre pour que de tels couples soient accompagnés et qu’on les aide à former correctement leurs consciences. (...) Toutefois, la façon ambiguë avec laquelle il propose cet accompagnement pastoral permet à cette situation d’évoluer vers une pratique habituelle consistant rapidement à faire en sorte que presque tous les couples divorcés et remariés s’estiment libres de recevoir la communion.

Cette attitude pastorale ne manquera pas de se développer parce que les impératifs moraux négatifs, tels que « tu ne commettras pas l’adultère », ne sont plus considérés comme des normes morales absolues à ne pas transgresser, mais plutôt comme un idéal moral – un objectif que l’on pourrait atteindre au bout d’un certain temps ou qu’on pourrait très bien ne jamais réaliser au cours de sa vie. Dans cet intervalle de temps indéfini, les personnes peuvent continuer, avec la bénédiction de l’Eglise, à faire de leur mieux pour vivre « saintement » et donc à recevoir la communion. Une telle pratique pastorale a de nombreuses conséquences néfastes sur le plan doctrinal et moral. (...)

En effet, recevoir la communion dans un tel état, littéralement, de disgrâce constitue un mensonge puisqu’en recevant le sacrement, une personne atteste qu’elle se trouve en communion avec le Christ, alors qu’en fait elle ne l’est pas. De la même manière, une telle pratique constitue également une offense à la sainteté de l’Eglise. Oui, l’Eglise est bien composée de saints et de pécheurs, cependant ceux qui pèchent, c’est-à-dire tous, doivent être des pécheurs-repentants, particulièrement en cas de péché grave, s’ils souhaitent pleinement participer à la liturgie eucharistique, et donc recevoir le très saint Corps et le Sang de Jésus. Une personne en état de péché grave peut donc très bien être encore membre de l’Eglise, mais cette personne ne participe plus à la sainteté de l’Eglise comme fidèle sanctifié. Recevoir la communion dans un tel état d’indignité revient, encore une fois, à proférer un mensonge étant donné qu’en recevant publiquement ce sacrement, cette personne tente de témoigner publiquement qu’elle est un membre de la communauté ecclésiale vivant et touché par la grâce, alors qu’elle ne l’est pas.

(En outre), et peut être par-dessus tout, permettre à ceux qui persistent à manifester un péché grave de recevoir la communion, en faisant passer cela pour un acte de charité, revient à la fois à minimiser le mal du péché grave et à calomnier la grandeur et la puissance de l’Esprit saint. Une telle pratique pastorale revient à accepter que le péché continue de gouverner l’humanité, malgré l’œuvre de salut de Jésus et l’onction de l’Esprit-Saint donné par lui à tous ceux qui croient et qui sont baptisés. Jésus n’est donc pas vraiment Seigneur et Sauveur, et c’est plutôt Satan qui continue de régner.

De plus, conforter les personnes en état de péché grave ne constitue nullement un acte d’amour ou de charité, parce cela revient à les conforter dans un état où elles pourraient être éternellement condamnées, et cela équivaut à mettre leur salut en péril. De la même manière, en retour, on insulte de tels pécheurs, parce que cela revient à leur dire qu’ils sont si gravement pécheurs que même le Saint-Esprit n’est pas assez puissant pour les aider à changer leur conduite peccamineuse et pour les rendre saints. On les rend donc intrinsèquement « insauvables ». En fait, ce qui se passe réellement, c’est que l’on affirme ainsi que l’Eglise de Jésus-Christ n’est pas vraiment sainte et qu’elle est donc incapable de sanctifier ses propres membres.

Enfin, la conséquence pastorale publique du fait de laisser recevoir la sainte communion à ceux qui refusent de se repentir d’un péché grave et manifeste, c’est le scandale. Pas tellement parce que les membres fidèles de la communauté seraient consternés et probablement mécontents, mais surtout parce qu’ils seront tentés de penser qu’eux-mêmes peuvent pécher gravement tout en restant en règle avec l’Eglise. Alors pourquoi se fatiguer à essayer de mener une vie sainte, voire une vie héroïquement vertueuse, si l’Eglise elle-même ne semble pas exiger ni même encourager une telle vie ? Alors l’Eglise se transforme en une caricature d’elle-même et une telle confusion ne suscite rien d’autre que du mépris et du dédain dans le monde, de la dérision et du cynisme chez les fidèles et, pour le mieux, une espérance – envers et contre tout – chez les plus humbles.