Conflit au Moyen-Orient : le pape et le principe de proportionnalité
Saint Augustin et saint Thomas d'Aquin
Dans l’avion qui le ramenait de Belgique, le pape François a évoqué les dernières actions menées par Israël au Liban. Sans mettre directement en cause l’Etat hébreu, le souverain pontife a rappelé que la « défense doit toujours être proportionnelle à l’attaque ». Qu’en est-il exactement ?
Le 25 septembre 2024, dans l’avion de retour de son voyage au Luxembourg et en Belgique, le Pape a été interrogé par Courtney Walsh sur l’élimination ciblée par Israël de Hassan Nasrallah, chef de l’organisation pro-iranienne Hezbollah : sa réponse est rapportée sur le site officiel du Vatican.
« Je ne sais pas tout à fait comment les choses se sont passées, mais la défense doit toujours être proportionnée à l’attaque. Quand quelque chose est disproportionné, cela montre une tendance dominante qui va au-delà de la moralité. Un pays, qui avec ses forces, fait ces choses – je parle de n’importe quel pays – d’une manière si “superlative” – mène des actions immorales.
« Même en temps de guerre, il y a une morale à respecter. La guerre est immorale, mais les règles de la guerre impliquent une certaine moralité. Mais lorsque ce n’est pas le cas, on assiste – comme on dit en Argentine – à du “mauvais sang”. »
La doctrine de la guerre juste
Qu’enseigne précisément l’Eglise sur cette épineuse question ? Saint Thomas donne, dans la Somme théologique (II-II, 40, 1), trois conditions requises pour qu’une guerre soit juste :
1) La guerre ne peut relever que de la puissance publique qui peut seule décider de la mener.
2) Elle doit relever d’une cause juste. Saint Thomas écrit : « Il est requis que l’on attaque l’ennemi en raison de quelque faute. »
3) L’intention doit être droite : la guerre ne doit être menée que dans le but de faire triompher le bien ou d’éviter le mal.
La doctrine dite « classique » de la guerre juste s’est développée sur cette base, et a été formulée par les scolastiques espagnols du XVIe siècle : en particulier par Francisco de Vitoria, dominicain et Francisco Suarez, jésuite. Elle affirme que la guerre n’est permise que pour rétablir la justice et donne des conditions pour entrer en guerre et d’autres sur la manière de la mener.
Les conditions pour entrer en guerre
– Il faut une juste cause, autrement dit, faire face à un danger réel et certain.
– Une autorité légitime qui décide l’entrée en guerre.
– Une intention droite : exclusion d’intérêts privés qui biaiseraient la juste cause.
– Que la guerre soit le dernier recours après épuisement des solutions diplomatiques.
– Qu’il y ait une réelle probabilité de succès : dans le cas contraire il y aurait des morts pour rien.
– Proportionnalité : le bien obtenu par la guerre doit dépasser les maux entraînés par la guerre.
Les conditions pour mener la guerre
– Distinction entre les belligérants et les non-combattants (civils, femmes, enfants, prisonniers).
– Proportionnalité entre les actions entreprises et le résultat recherché : éviter l’esprit de vengeance et garder à l’esprit que faire la guerre est aussi pour le bien de l’adversaire qui a commis une faute (Somme théologique, II-II, 108). Cette proportionnalité est d’autant plus importante à respecter que les armes modernes ont des capacités destructrices très importantes.
Laissons la parole à saint Augustin quant à la possibilité de la guerre juste : « Si la morale chrétienne jugeait que la guerre est toujours coupable, lorsque dans l’Evangile, des soldats demandent un conseil pour leur salut, on aurait dû leur répondre de jeter les armes et d’abandonner complètement l’armée. Or, on leur dit (Lc 3, 14) : “Ne brutalisez personne, contentez-vous de votre solde.” Leur prescrire de se contenter de leur solde ne leur interdit pas de combattre. »
Aujourd’hui, la tendance serait de dire qu’il n’y a pas de guerre juste. Certes, les deux belligérants peuvent être dans l’injustice, mais il y a tout de même des cas où l’un des deux est juste – et l’autre injuste. La raison de cette tendance est double : à cause des capacités de destruction des armes modernes qui rendent tout conflit plus ou moins effroyable, mais aussi la perte de l’esprit chrétien qui laisse place à la vengeance et à la haine, ferments de guerres interminables.
Mais il faut remarquer que, tant que l’injustice se répandra sous toutes ses formes dans le monde : mépris de Dieu et de la religion fondée par Jésus-Christ, Prince de la paix ; avortement, crime contre des innocents qui crie vengeance vers le ciel ; euthanasie qui se répand partout ; refus de la loi naturelle qui s’étend à tout ce qu’elle recouvre, il ne faudra pas s’étonner de voir des guerres. Seule la justice du Christ peut les arrêter, ou du moins, ici-bas, les restreindre.
(Sources : Vatican News/unifr.ch – FSSPX.Actualités)
Illustration 1 : Philippe de Champaigne, Domaine public, via Wikimedia Commons
Illustration 2 : Sandro Botticelli, Domaine public